vendredi 20 mai 2011

WWOOF 7 : Cravirola

Cravirola
Minerve (34) - 500 m
Du 9 au 19 mai 2011

La petite histoire
Il y a 30 ans, un couple d'Allemands retape une ferme isolée dans les Alpes à Cravirola.
25 ans plus tard, après des débuts difficiles, le lieu a fini par décoller et accueille plus de monde. Une coopérative et une SCOP ont été créées pour être dans les clous et vendre du fromage de chèvre en à peu près toute légalité.
Puis les gens se sentant un peu limités par l'endroit cherchent un nouveau terrain et atterrissent dans l'Hérault, près de Minerve, dans une propriété de 270 ha de garrigue.
Le lieu hérite du nom de la coopérative qui avait elle-même le nom du bled d'origine, et voilà pourquoi Cravirola est maintenant dans l'Hérault.

Si vous êtes friand de séries américaines ou simplement curieux, y'a plein d'endroits sur internet où on trouve des versions détaillées et croustillantes de cette histoire, je vous les recommande.

En déménageant, les Craviroliens ont "donné" l'ancienne ferme à un nouveau collectif. Les deux groupes, rejoints par un troisième, ont créé la société Terres Communes qui a un engagement foncier un peu comparable à celui de Terre de Liens. Il y a une réelle volonté politique là-derrière, qui est bien expliquée ici: http://www.terredeliens.org/spip.php?article205.

Aujourd'hui c'est une dizaine de permanents qui sont installés à la ferme ; le groupe est assez hétérogène (25 - 60 ans) et mixte. Peu vivent dans le bâtiment principal, et faute de permis de construire, la plupart sont en caravane ou cabanes depuis plusieurs années ; vague de construction sauvage imminente.

L'activité
Le nouveau terrain a couté la bagatelle de 1,2 millions. Pas mal pour des hippies éleveurs de chèvres.
La SAS a un emprunt de 800 000 € sur le dos qu'il faut rembourser grâce à trois principales activités économiques : le fromage, l'accueil et la vente de bois.

Le fromage :
70 chèvres, 60 brebis et 8 vaches laitières : beaucoup d'animaux pour faire beaucoup de fromage. La clientèle est à Cannes (historiquement ca a un sens), donc on produit toute la semaine et chaque vendredi on envoie le camion frigo faire le marché et vendre 5000 € de fromage. Y'a des sous sur la côte.
Les bêtes sont traites à la machine et nourries avec du foin acheté : sur place y'a de quoi paitre pendant deux mois à tout casser, c'est impossible de faucher ; rageant de voir ces 270 ha qui servent à rien.
Mais une solution se profile : le sylvopastoralisme. Leur garrigue est en fait une forêt de chênes verts qu'ils éclaircissent pour laisser repousser l'herbe et envoyer les animaux grignoter ce qui pousse. Toujours pas de quoi faucher mais ca devrait agrandir un peu la période de paturage.

Le bois :
Eclaircir les chênes pour faire pousser l'herbe c'est chouette et en plus on peut vendre le bois pour se chauffer ! Doublement chouette non ?

L'accueil :
Un gîte, des chambres d'hôtes et l'été, un camping participatif de 300 emplacements pour des vacances de hippies. Le camping est en train de se mettre aux normes (incendie notamment). Il est vraiment très très grand, c'est pas le genre avec des emplacements de 12 m² ; on demande aux gens de s'occuper de l'entretien, de changer les bacs des toilettes sèches, de participer à la bouffe ce genre de trucs.


En plus :
Quelques entrées d'argent supplémentaires : viande de vache, de cochon (nourri au petit lait), loyer versé par le collectif de l'ancienne ferme, pain, et soutien financier d'actionnaires qui achètent des parts pour encourager le projet.

Le séjour
Pour passer quelques temps à Cravirola il faut participer à un chantier solidaire. Je n'ai pas wwoofé, j'ai menti dans le titre, pardon.
On paye 45 € pour aller bosser une douzaine de jours (wwoof payant, concept intéressant). On est un groupe de 8 maxi.
Le thème de notre chantier : lancement de la saison, aménagement du camping, et vie quotidienne.
En vrac : décailloutage du camping, construction de RIA en pierre, tranchées pour réparer les canalisations, remise en état du snack, nettoyage, peinture, jardinage, traite, fromagerie, étanchéifier un cuve en béton, monter le chapiteau, etc...
Donc pendant dix jours on participe à la vie de la ferme. Un groupe le matin va traire très tôt (ou des fois simplement un peu tôt), un peu après une équipe commence la fromagerie du matin, puis vers 13h tout le monde vient manger, et on rattaque soit au chantier, soit en fin d'après-midi à la traite ou fromagerie. 19h : l'apéro/réunion et hop à table. Après en général ca s'éparpille.

Mon court passage
Cravirola se veut un lieu de résistance, d'engagement, d'expérimentation et d'autogestion.

J'ai débarqué là-bas juste après Ramounat, et j'ai surtout eu l'impression d'un lieu sans cohérence avec les valeurs qu'ils défendent, où tout tourne autour du fric et de l'énorme emprunt à rembourser : on bosse à coup de tracteur, pelle mécanique, traite à la machine, on envoie les fromages à l'autre bout de la France, les légumes viennent du supermarché (le jardin est assez petit surtout quand il est censé alimenter le snack pour les campeurs l'été), le compteur électrique est à peine suffisant (il va falloir passer au modèle au dessus), ils n'utilisent pas les toilettes sèches...
J'ai juste vu une boîte en train de faire du pognon entre copains.

Et puis j'y ai trouvé un sens en considèrant le point de vue de Terres Communes. Pour ceux qui ont pas lu l'article vers lequel je fais un lien plus haut (bouh !) le principe de la SAS c'est de devenir propriétaire de terres pour les consacrer à l'agriculture, en les confiant à des gens qui n'en seront pas forcément propriétaires. Terres Communes veut posséder du foncier pour le sortir du système de spéculation actuel qui empêche les agriculteurs de s'installer ou les force à s'endetter et à devenir rentables.

Toujours est-il qu'à l'issue de mon séjour je ne sais toujours pas ce qu'ils vont faire quand leur emprunt sera remboursé, je ne comprends pas pourquoi ils ont acheté 270 ha ni pourquoi avoir choisi la garrigue ou le bétail n'a rien à manger.


On poursuit avec Julie à Longo Mai pour le mois de juillet, et peut-être plus avec Baptiste si le début s'est bien passé.

dimanche 8 mai 2011

WWOOF 6 : Ramounat

Ramounat
Massat (09) - 1000m
Du 23 avril au 6 mai

http://www.ouvertour.org/lieux-visites/ramounat : quelques photos et un site assez intéressant.

Après moins d'une heure de route en quittant Camarade, nous arrivons à Massat ; un quart d'heure plus tard, la vallée de Bernède, et le parking où sont arrêtés tous les véhicules des habitants de la vallée.
On prend les sacs à dos, les instructions erronées et on vise Ramounat, à une demi-heure de marche.
Une heure et demie plus tard, après avoir rencontré les "voisins", traversé la vallée de long en large, piétiné dans les marécages jusqu'aux genoux, nous sommes accueillis par quatre barbus autochtones en liesse : Peter, Vincent, Francois et Milan.

Bernède
Il y a trente ans, Peter est venu d'Allemagne fonder une famille tout en haut d'une vallée peuplée de hippies. Ils veulent vivre en autonomie, dénigrent Babylone et refusent les concessions. Peter a du être le plus extrémiste d'entre tous. Ils élèvent des chèvres, font les foins à poil et envoient leurs enfants faire l'école buissonnière. Pas d'électricité, pas d'eau courante, pas de machines. Juste du courage et des copains pour monter la cuisinière à bois depuis le parking ou bien porter un tronc à 20 personnes.
Aujourd'hui une autre génération est là, peut-être un peu moins fanatique, mais qui continue à construire sans permis, parfois même sans être propriétaire du terrain.
Les fêtes sont nombreuses, les habitants sont sympas, et c'est un sacré bordel.

L'idéal de Peter
Peter s'est rasé une fois dans sa vie (pour montrer à ses enfants je crois) ; pendant son service il a préféré aller au mitard que de se raser. C'est un solide gaillard de la montagne, et, malgré quelques contradictions, un homme de principes. Quels principes ?
Sur le même raisonnement que les tests d'empreinte écologique (http://www.wwf.fr/s-informer/calculer-votre-empreinte-ecologique), chacun de nous sur Terre consomme, par son mode de vie, une certaine quantité de ressources. Et, le saviez-vous, les ressources de la planète sont limitées. Donc si on prend trop, les autres ont moins. Pour arriver à un équilibre et à une équité, le principe est de consommer modérément sa propre production -ou au moins une production locale, et de garder un mode de vie à échelle humaine pour limiter notre impact sur la vie et l'environnement.

À Ramounat, on vit dans des maisons qui ont été fabriquées à la main avec les matériaux du coin (bois rond abattu dans la forêt, en général du bois déjà mort), sans trop de confort matériel, on fait pousser ce qu'on veut manger et on élève des bêtes (une ou deux exceptions : les céréales, qu'on peut pas (encore) faire pousser faute de main d'œuvre, et surtout l'alcool et le tabac. Ils font bien leur vin de myrtille, mais tout est bu en deux trois mois.. La consommation est assez impressionnante je dois dire).
Si tu utilises une machine, tu gagnes du temps, mais tu perds le copain avec qui tu aurais été obligé de faire la tâche.
Si tu achètes quelque chose, tu fais travailler quelqu'un dans des conditions que tu ne veux pas accepter toi-même (usines, agriculture conventionnelle, chine...), et tu es un hypocrite car tu as la belle vie dans la montagne grâce au travail des autres et de la société que tu refuses.

L'idéal de Peter, c'est de vivre à plusieurs familles (une vingtaine de personnes) sur son terrain ; ca fera suffisamment de bras disponibles pour entreprendre des projets dignes de ce nom, et soulever des montagnes. Et on pourra enfin dormir tranquille sans avoir sur la conscience les conséquences de nos gestes les plus quotidiens : ouvrir le robinet, allumer la lumière en appuyant sur un interrupteur nucléaire, aller au travail avec une voiture pleine de pétrole.

La réalité
Mais tout ca a un prix : faut bosser ! Et accepter des conditions de vie auxquelles on n'a pas été forcément habitués. À Ramounat, si tu veux quelque chose, tu trouves le temps pour le faire, et tu le fais.

Le problème, c'est que l'été il y a une quinzaine de visiteurs curieux (des wwoofers en gros) qui fauchent et qui mangent ; et la bouffe pour quinze, elle est cultivée par les quatre permanents qui sont là à l'année.
Voila le cercle vicieux : tout pousse sur des terrasses qu'il faut entretenir et enrichir de compost. Le compost vient du fumier de chèvre. Pour faire des légumes pour quinze (1,5 t de patates pour la base de l'alimentation) ben il faut pas mal de fumier, donc pas mal de chèvres (98 en comptant les petits quand j'y étais). Et pour nourrir 60 chèvres adultes, faut pas mal de foin. Et pour faucher tout ce foin à la main, ben faut qu'il y ait 15 personnes l'été.

En gros les permanents assument à quatre les besoins alimentaires de quinze personnes, et donc la petite citation "À Ramounat, si tu veux quelque chose, tu trouves le temps pour le faire, et tu le fais" devient vite illusoire, parce qu'on ne l'a pas ce temps. Pas de temps pour soi, pas le temps pour des projets personnels ni pour améliorer le confort par exemple. Et en trente ans, on dirait que le lieu en est resté à assurer la survie. S'il y avait 15 permanents, ca serait fastoche de boucler la bouffe et les chèvres et ensuite de se consacrer à des constructions plus censées, ou à des sanitaires à tout hasard. Mais voir l'emploi du temps et les conditions de vie des permanents, je sais pas si ca donne super envie aux visiteurs de s'installer.
C'est mon avis après être resté quinze jours, mais d'après Vincent ils ont déjà fait plein de concessions et ils se sont embourgeoisés :)

La vie à Ramounat
Les maisons : 7m de haut, trois étages, quasiment tout vient de la forêt (sauf les tôles pour le toit), c'est une construction de titan ! Mais c'est pas isolé, c'est le souk et c'est crado.
Toilettes : un trou dans une planche et un broc d'eau.
Pas de salle de bain, pour se laver faut aller chercher du bois dans la forêt, allumer un feu, chauffer l'eau pour son bain, remplir la baignoire en portant la marmite.. En tout ca prend 2h quand on est bon. Autant dire qu'on se lave pas tous les jours ; perso une fois en 15 jours, et encore j'ai choisi la facilité en allant dans la rivière à 8°.
Pas de cuisine, on prépare la bouffe là où on peut, ou la où on veut
Pas de table, on mange par terre tous dans la même gamelle au milieu des animaux.
Quand j'ai vu mon pieu j'ai fait gaffe que pas un centimètre de ma peau ne dépasse de mon duvet, j'avais trop peur d'attraper la gale si je touchais le matelas.

Et puis au bout de quelques jours de prudence et d'indignation étouffée, je me suis surpris à m'habituer et à commencer à profiter des choses simples, et c'était chouette.
On fait pas mal la fête, on rigole bien, mais faut franchir un pas pour pas avoir envie de partir en courant.
Je pense que si j'étais resté plus longtemps je me serais satisfait petit à petit des conditions, jusqu'à oublier l'usage d'un peigne et ne même plus voir la crasse recouvrir mon corps.

Le wwoof
Je suis arrivé, quelle chance, le jour où on devait vider la chèvrerie : deux jours à trois personnes dans une sympathique odeur d'ammoniac à vider le fumier à la fourche.
Puis au cours du séjour, j'ai désherbé à la main d'interminables rangs de carottes, planté des patates, coupé du bois à la hache, à la scie, à la passe-partout, sorti les chèvres, été perdu dans la forêt et accueilli des jeunes en réinsertion ("Tête de oim vous êtes des hommes des bois c'est l'Afrique ici !").

Le matin on se lève entre 7h et 8h, Vincent a commencé une heure avant à préparer les chapatis sur le feu. Un part traire les chèvres, un prépare le ptit dej : carottes / betteraves râpées, fromage de chèvre, fromage blanc aux herbes sauvages...
Puis on déjeune et la journée commence : un chevrier part pour la  journée faire paitre les bêtes, et les autres bossent au fromage, au jardin ou aux foins ou aux constructions selon la saison...
Au retour des chèvres on les trait encore un coup.
À la tombée de la nuit on mange (des patates), on boit, on chante et on joue de la flute.
Une vie simple non !

Le bilan
C'était un sacré wwoof aussi intéressant que déroutant. Un peu court pour juger de tout ca, et surtout pour savoir jusqu'où j'aurais pu aller.
C'est suffisamment rare pour être souligné : les gens qui vivent là ont des valeurs fortes et vivent (presque) totalement en accord avec elles. C'en est presque naïf mais je trouve ca assez admirable. Ces convictions impliquent une vie rude, à l'ancienne, que peu sont prêts à accepter, mais eux continuent.
Peter a fait le choix d'agir plutôt que de militer ou se politiser, et il est allé au bout.

Ma déception : selon moi Peter met la charrue avant les bœufs dans son choix de vouloir produire pour 15 personnes en étant 4 permanents. À ce rythme je pense que les gens s'usent plus vite qu'ils ne sont remplacés, et le dialogue à l'air compliqué avec Peter ; je n'ai pas eu l'impression que les gens avaient vraiment leur mot à dire s'ils n'étaient pas d'accord. C'est dommage, c'est le genre d'endroit ou c'est possible de se concentrer sur l'aspect collectif, la communication tout ca, mais encore une fois ca a pas l'air d'être la priorité.

Pour moi qui n'étais que de passage, ca reste une belle expérience.